Le combat d’hiver est un roman jeunesse riche en émotions qui revisite la critique des régimes totalitaires en l’adaptant parfaitement aux adolescents ! Roman à lire qui risque d’en séduire plus d’un…
Milena Bach et Helen sont amies et vivent dans le même internat exclusivement féminin. Un soir, Helen décide d’aller voir sa consoleuse et demande à Milena de l’y accompagner. Cette sortie est acceptée par les surveillantes pour autant qu’elles soient rentrées dans les trois heures qui suivent, sinon une de leur camarade sera enfermée au cachot. Sur le chemin qui mène au village des consoleuses, les deux jeunes filles croisent deux élèves de l’internat masculin, Milos et Bartolomeo. Ils discutent alors tous les quatre et s’échangent leurs noms et leurs classes afin de pouvoir s’écrire. Lors de chaque visite chez les consoleuses, l’accompagnatrice doit attendre le retour de son amie dans la petite bibliothèque, cependant, ce soir-là, quand Helen va rejoindre Milena, cette dernière a disparu en lui laissant une lettre dans laquelle elle lui demande de l’excuser et de demander pardon à leur camarade qui sera punie à sa place. Helen rentre donc seule ce soir-là. Quelques jours après cet évènement, elle décide d’écrire la première à Milos et celui-ci lui donne rendez-vous un soir pour lui parler, il sait pourquoi Milena s’est enfuie. Lors de ce rendez-vous, Helen apprend que son amie est partie avec Bartolomeo. Ils veulent poursuivre ce que leurs parents avaient entrepris quinze années plus tôt : s’opposer à la Phalange. En effet, tous les orphelins réunis dans ces internats sont en réalité les enfants d’anciens résistants qui ont été tués. Après avoir libéré la jeune fille enfermée dans le cachot depuis que Milena n’est pas rentrée, les deux adolescents décident de rejoindre leurs amis dans ce combat. Entre les hommes-chiens que la Phalange a lancés à leur poursuite et les combats de gladiateurs auxquels Milos sera obligé de participer pour avoir tué un officier de la Phalange ainsi que le maitre-chien, leur combat pour la liberté et pour la mémoire de leurs parents est loin d’être gagné… Et pourtant !
Jean-Claude Mourlevat est un écrivain pour la jeunesse. Il fut d’abord professeur d’allemand avant de travailler dans le théâtre, d’abord en tant que metteur en scène, ensuite en tant qu’acteur dans le théâtre clownesque. Son premier texte publié a été un album chez Mango en 1997. Il ne savait, alors, pas que c’était le premier d’une longue liste.
Le combat d’hiver est un roman fantastique. En effet, les « hommes-chiens » ainsi que l’ambiance froide et terrorisante qui règne aussi bien dans l’internat que lors du voyage et du combat des adolescents le démontrent clairement. Cependant, il n’est pas simplement fantastique, il va plus loin et relate cette histoire pour mettre le lecteur en garde contre le type de société qui y est décrite. C’est donc également une dystopie qui dénonce le régime totalitaire mais aussi l’absence de liberté et le maintien dans l’ignorance. Malgré cette dimension plus subtile, ce roman est bel et bien adressé à des adolescents et semble être écrit pour leur inculquer des valeurs.
Jean-Claude Mourlevat, écrivain pour la jeunesse, nous a habitués à des romans qui peuvent, parfois, se montrer très enfantins. Prenons l’exemple de La ballade de Cornebique, il est destiné à des enfants à partir de 9 ans. L’histoire qui s’y déroule n’est donc pas très profonde, son but est plutôt de divertir le jeune lecteur à l’aide d’une écriture ludique et de comiques de situation. Par contre, Le combat d’hiver relate une histoire beaucoup plus sérieuse, qui, malgré qu’il soit destiné à la jeunesse, peut tout à fait s’adresser à des adultes. En effet, ce roman traite d’un sujet plus profond, il dénonce les régimes totalitaires et tout ce qu’ils impliquent : le maintien du peuple dans l’ignorance, l’absence de liberté, la barbarie, etc. Ce roman consiste donc en une dystopie qui, bien qu’adressée à la jeunesse, demande par conséquent une certaine maturité et une certaine connaissance de l’Histoire et de la politique totalitaire. Malgré que ce thème soit très souvent rencontré dans la littérature, il n’en reste pas moins intéressant, d’autant plus lorsqu’il s’adresse à des adolescents en train de fonder leurs propres opinions, de se créer une personnalité et de choisir les valeurs qu’ils défendront. Effectivement, en plus de les mettre en garde en dénonçant les travers de ce système politique, ce livre est porteur de valeurs que l’auteur essaye de transmettre aux lecteurs : la solidarité, la défense de sa manière de penser voire la résistance, le courage, la volonté et, bien sûr, la liberté. C’est donc en cela que ce livre, malgré qu’il soit plus subtil que certains autres écrits du même auteur, reste parfaitement adapté à la jeunesse : il ne s’arrête pas au divertissement mais touche également à l’éducation. De plus, malgré sa subtilité, il reste tout à fait accessible aux jeunes lecteurs grâce à son écriture claire et aux nombreuses émotions qu’il transmet, points communs de tous les romans de Jean-Claude Mourlevat. En effet, entre les moments de joie partagés entre les amis lors de leur combat mais aussi lors de leur réussite et les moments de tristesse capables de vous mettre la larme à l’œil, notamment lorsque Milos se fait assassiner par un autre gladiateur et lorsque ses amis l’apprennent, ce roman, riche en émotions, est très captivant. Le suspens est à son comble et les surprises au rendez-vous. Il ne fait pas partie des romans entièrement prévisibles qu’il est ennuyeux de lire. La narration que l’auteur utilise dans ce livre joue également un rôle important dans l’entrain que provoque ce roman. En effet, le fait de raconter les histoires des différents adolescents parallèlement en les faisant s’entrecroiser est
très intéressant et donne une certaine dynamique à l’histoire.
Pour ce qui est du sujet traité, le thème principal abordé par l’auteur dans ce roman est, comme déjà expliqué, la politique et plus particulièrement la critique des régimes totalitaires et des conséquences qu’ils impliquent. Ce thème, comme vous le savez, a eu beaucoup de succès en littérature et plus particulièrement dans les dystopies. 1984 de Georges Orwell en est un bel exemple. En effet, ce roman d’anticipation critique également le régime totalitaire, la société de la surveillance et la réduction des libertés à travers les trois slogans « La guerre, c’est la paix », « La liberté, c’est l’esclavage » et « L’ignorance, c’est la force » mais aussi à travers les affiches posées dans les villes « Big Brother vous regarde ». Dans la même optique, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury critique une société qui ne laisse aucune place aux valeurs humaines ni au savoir, tous les livres sont d’ailleurs brûlés. Ces deux ouvrages sont donc très proches dans leur critique de celui de Jean-Claude Mourlevat qui illustre cette absence de liberté et ce maintien dans l’ignorance à travers l’emprisonnement des enfants d’anciens résistants à la Phalange dans des internats ainsi qu’à travers le fait que les livres auxquels ont accès ces adolescents soient contrôlés par les dirigeants. Ces trois romans divergent, cependant, entre autres, dans la fin qu’ils proposent. Ainsi, si 1984 se termine mal dans le sens où la société totalitaire l’emporte sur le héros qui veut en sortir, Fahrenheit 451 s’achève sur une note d’espoir et Le combat d’hiver aboutit à une révolution qui renversera le gouvernement.
Ce roman étant une dystopie, le but de l’auteur n’est pas de relater un fait passé mais de critiquer un régime politique dans sa généralité. C’est dans les procédés utilisés pour rendre cet aspect que Jean-Claude Mourlevat se distingue des autres auteurs auxquels je l’ai comparé. Tout d’abord, il ne situe son histoire ni dans le temps ni dans l’espace. Ainsi, la critique du régime totalitaire ne vise pas particulièrement le nazisme, le franquisme, le stalinisme ou quelque autre dictature, mais vise toutes les sociétés sous une politique totalitaire en tout lieu et tout temps, qu’elles soient passées ou à venir. Le fait que l’auteur choisisse des noms et prénoms de toutes origines pour ses personnages accentue cet effet et illustre les conséquences qu’un tel régime peut provoquer dans la vie d’adolescents quel que soit l’endroit où ils vivent. Aussi, il invente une histoire fictive, qu’il est donc impossible d’associer de manière certaine à un élément de notre Histoire, à laquelle il ajoute des éléments fantastiques tels que les « hommes-chiens » ou les « hommes-chevaux » qui invitent à postposer cette histoire dans le futur et l’interpréter dès lors comme une anticipation. Il rend, par conséquent, à l’aide de ces différents procédés, son histoire adaptable à toute époque et à tout endroit.
Lire ce roman peut donc s’avérer une révélation pour les lecteurs qui n’apprécient pas particulièrement cet auteur, ainsi qu’un moment de bonheur supplémentaire pour ceux qui l’aiment déjà.
Sources:
BRADBURY (Ray), Fahrenheit 451, trad. Robillot Henri et Chambon Jacques, Paris, Gallimard, coll. « Folio SF », 2000.
MOURLEVAT (Jean-Claude), La ballade de Cornebique, Paris, Gallimard Jeunesse, coll. « folio junior », 2009 (1re éd. 2003)
MOURLEVAT (Jean-Claude), Le combat d’hiver, Paris, Gallimard Jeunesse, coll. « Pôle fiction », 2010 (1re éd. 2006).
MOURLEVAT (Jean-Claude), « Mon itinéraire », Jean-Claude Mourlevat, 2011, http://www.jcmourlevat.com/itineraire.html, consulté le 5 mai 2012.
ORWELL (Georges), 1984, trad. Audiberti Amélie Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972.